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Extrait

... Le grondement du fleuve était devenu immense. Une foule de porteurs de sacs de farine s’activait devant elle. Ses pieds nus et brûlants finirent par ralentir ; son corps menu glissa, se faufila comme un courant d’air froid dans la masse affairée qui ne la voyait pas. Son visage noyé dans l’ombre de sa capuche scrutait les barques, les felouques, les pirogues amarrées sur les quais. Dans sa petite main, trois pierres rouges s’entrechoquaient. Un barrissement obscur s'éleva dans la nuit. Le galop des chevaux et le grondement plus lourd des pachydermes pâles convergeaient dangereusement. 

 

Plus loin, au bord des quais, un vieil homme plein de givre pestait sur la tempête et s'était décidé à gagner l'autre rive. Il glissa son vieux corps au fond de sa pirogue et dénoua les amarres que ce froid détestable avait rendues rigides. 

 

La gamine aux pierres rouges surgit dans les vapeurs qui entouraient le vieux et s’assit derrière lui. Le vieillard sursauta et brandit sa pagaie dans un mouvement brusque. Il fit pointer sa rame vers le visage obscur, les yeux noirs et têtus, indéchiffrables. 

— Fiche le camp de ma barque. 

L'enfant leva sa main. Le passeur se figea. Dans la petite paume, une poignée de graines extrêmement rares miroita.

— Emmène-moi loin des rives. Je trouverai quelqu’un d’autre si tu ne les veux pas. 

Le vieux les estima et leur simple vision lui fit bouillir le sang. Il empocha les graines et se mit à ramer avec dextérité. La fillette soupira et regarda de loin les quais blancs disparaître, avalés par la brume. L'homme tourna son visage vers le décor opaque où des barrissements lourds descendaient des collines. Pourquoi des éléphants venaient-ils près des quais à cette heure de la nuit ? Il ne s'agissait pas des caravanes de bois venant de Niv’gorod, ni celles qui descendaient des forêts de Brazza... Le batelier nerveux fronça d’épais sourcils tandis que le silence s'écrasait à nouveau dans le brouillard des rives. 

— C'est quoi ces éléphants ? Ils en ont après toi ?

L’enfant restait muette et lui tournait le dos. 

— Hé, je te parle. Te voilà loin des rives. Où est-ce qu'on va maintenant ?

La petite passagère pivota lentement. 

— Vers le sud.

— Où, au sud ?

— À Dem-Sh’sa. 

L’homme cessa de ramer. 

— Tu plaisantes ?

— Pas du tout. 

L’air noyé de vapeurs semblait se réchauffer. Comme toujours dans la Ville aux mille noms, la chaleur et le froid s'étaient encore heurtés.

— Je n’irai pas là-bas, murmura le vieil homme en faisant brusquement bifurquer sa pirogue. Je te dépose en face. 

— Je te payerai plus cher. 

Le vieux tourna sa tête ; les yeux noirs de l'enfant le transperçaient toujours. 

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(Extrait- Tome 1)

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