La Crique
... Au bout de ces rumeurs, se dressaient des montagnes cachant un lac salé qui aurait pu sembler vaste comme une mer ; de vastes champs de cannes et des forêts humides surplombant les lumières du grand quartier sauvage que la Ville aux mille noms surnommait « le Village ». Le hameau isolé, fondé il y a des siècles par le Fils de l’Eau et par des réfugiés des Antilles disparues, avait tellement grandi depuis ses origines, que ses rues, ses lumières, couvraient le fond des criques et leurs pentes escarpées. Quelques lointaines légendes avaient gardé la trace du jeune sourcier muet qui avait découvert ce lieu inaccessible. Quelques endroits secrets et quelques pierres sculptées attestaient son passage sur ce point de la Terre. Mais depuis cette époque, le quartier gigantesque avait perdu le fil et vivait dans la paix d’un éternel présent.
C’est ici qu’était né, quelques lunes avant moi, un gosse nommé Noé qui croiserait ma route l’année de nos douze ans. Il avait vu le jour lors d’un cyclone brutal, un de ces ouragans qui remontaient les fleuves toutes les vingt ou trente lunes et retournaient le lac, dévastaient les ruelles et les pentes de la crique avec une fureur couvée par le hasard.
Comme à chaque fois, chaque chose s’y était reconstruite. Comme au rythme habituel d’une respiration. La nature luxuriante avait repris sa place tandis que le chaos des cases colorées se dressait à nouveau dans la végétation. Noé avait grandi au fil de ces reconstructions.